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  1. « L'étincelle qui sort de la pierre, la pâleur de la lune, la rougeur du soleil, les étoiles qui scintillent, les comètes qui flamboient, tout cela c'est la lumière, essence unique qui a des modalités différentes ».
  2. Flaubert., Première éducation sentimentale, 1845

Visible : Est emprunté au latin classique visibilis « qui a la faculté de voir » puis a donné en bas latin « qu’on peut voir ».
L’adjectif français conserve le sens du bas latin mais il a aussi signifié « capable de voir ».
Lorsqu’il s’agit d’une réalité abstraite, il s’emploie au sens de « sensible ou rendu sensible aux sens »


La peinture est l'engendrement d'une surface ; là est son travail et toute sa poétique. Le tableau est le moment d'affleurement d'une surface et celle-ci doit remonter d'un fond, d'une profondeur - cette quantité affleurante porte la mémoire de son surgissement, présente une manière de solidification du temps dans lequel s'est constitué sa prise de conscience.
Peindre des tableaux en partant de leur envers. Voir les tableaux à partir de leur envers. Il faudrait donc comprendre autrement ce que l'on nomme profondeur : elle est dans une superposition de couches qui auraient le pouvoir de remonter à la surface; mais remonter d'où ? Le tableau est le dernier état d'accumulation de strates temporelles.
Voilà le vertige, un corps de peinture où seraient devenus visibles tous les états de son derme et dont la surface offrirait la carte d'un pays inconnu.
La surface n'est ni l'objet, ni le lieu d'une charge de peinture ou d'application d'une pellicule, recouvrement, superposition d'épaisseurs. Le tableau est un mode d'engendrement de la surface. Cette surface nous la voyons selon des modalités à chaque fois particulières : elle mobilise, met en action un corps de métaphores. Ces métaphores ne sont pas des approximations mais la possibilité qui nous est donnée de saisir ou d'accompagner un ensemble mobile de corps poétiques, de corps noétique, de corps philosophique.
La peinture cartographie un pays ou un monde inconnu. Le visible qui vient de naître est trace d'exploration d'un monde. Ce monde-là n'était pas visible auparavant : nous voyons toujours un état de sa métaphore, cet univers est immédiat en toutes ses parties : aucune mesure de distance ne règle une perception juste ou optimale du tableaux ; nous sommes aussi bien à trois pas qu'à fleur de peau.
L'affleurement de ce que l'on voit doit supposer du temps. La surface flotte sur quelque chose. Il faudrait ainsi imaginer un temps, un temps qui n'est cependant comptable que de l'élaboration dont résulte une forme - comme le secret de ce qui advient : l'avènement de peinture. La peinture comme réflexion sur le temps mais a-t-on jamais assez le temps ? La surface, cependant n'est pas une mémoire.
Que nous montre la peinture. La peinture naissant de ses différents moments, la poussée qui porte au visible ce qui devient... mais quoi ? Paysage, portrait de hasard, ciel et mer jouant l'un dans l'autre. Ou bien le monde simplement inconnu parce qu'il n'est pas refait à partir de quelque reste de perception de choses, il est son inauguration.
Ce monde inconnu mobilise toute l'idée d'une profondeur agitée avant la genèse des figures. L'œuvre est littéralement un mouvement, décliné en phases, de remontée d'un corps de substance, d'un monde originairement liquide.
« Je peins le dos de face » disait Matisse, de l'envers du tableau, premier appui de sa construction (Á rapprocher de la phrase de Dieu à Moïse je te montre mon dos ce qui oblige à concevoir la face invisible.
La surface n'est pas ce vers quoi l'on va, directement, mais ce vers quoi l'on revient. La peinture n'est pas un art de la conscience, mais un art du concept : elle ne relève pas d'une activité mais d'une dialectique. La peinture ne s'achève pas, elle est arrêtée pour faire place à la mise en énigme de la surface. « Il n'existe pas en français de verbe inachever ». Martin Barré.
Dans l'écho et Narcisse de Poussin (vers 1630), la figure de la nymphe représentée à l'arrière-plan, les pieds enfoncés dans la terre, épouse les contours et les colorations du rocher sur lequel elle est étendue et semble se dissoudre dans la sous-couche ouvrant le tableau sur une profondeur de peinture réelle.
  1. « Protogène habitait Rhodes ; Apelle, ((I ème av. JC) ayant débarqué dans cette ville, fut avide de connaître les œuvres d'un homme qui ne lui était connu que de réputation. Incontinent, il se rendit à son atelier ; Protogène était absent, mais une planche de grande dimension était préparée sur un chevalet, et il n'y avait là d'autre gardien qu'une vieille femme. Celle-ci répondit que Protogène était sorti, et, pour le lui redire, demanda le nom du visiteur « Le voici », dit Apelle, et, saisissant un pinceau, il traça avec de la couleur en travers de la planche une ligne d'une extrême finesse. Protogène de retour, la vieille lui raconta ce qui s'était passé. L'artiste, dit-on, ayant contemplé la délicatesse du trait déclara que c'était Apelle qui avait dû venir ; nul autre que lui n'était capable d'un travail aussi parfait. Lui-même alors, avec une autre couleur, traça un filet plus mince encore et sortit en  recommandant à la vieille, si l'étranger revenait, de le lui faire voir et de lui dire : « Voilà celui que vous demandez ». C'est ce qui arriva, Apelle revint et, rougissant d'être surpassé, avec une troisième couleur, il refendit encore les deux lignes par une autre qui ne laissait place à rien de plus fin. Protogène, s'avouant vaincu, vola au port à la recherche de son hôte. Il voulut que l'on conservât telle quelle à la postérité cette planche destinée à faire l'admiration de tous, et surtout des artistes. »
  2. Et Pline ajoute qu'il avait vu cette planche avant qu'elle ne brûle dans un incendie qui ravagea le palais impérial sur le mont Palatin : « Elle ne contenait rien sur sa vaste surface, dit-il, que des lignes qui échappaient à la vue. Elle paraissait vide, mais par cela même, elle attirait le regard ».
 
Dans tous les domaines, la création a malmené le savoir, a privilégié le sensible au dépend de l’intelligible alors qu’il faut entendre l’amphibologie du mot sens.
On se trouve embarqué dans une approche analytique de la surface de l'œuvre, dans une tentative de signalisation d'un espace propre, qui nous amène aussitôt à nous questionner plus largement sur la perception de ce qui est montré. Envisager une réalisation possible une tentative d'équation à la pensée. C'est le moment de la saisie, de l'appréhension, après laquelle, seulement, advient l'événement, c'est-à-dire l'« apparition du visible ». La vérité en peinture appartient-elle au sémiologue ou au peintre ? La question vaut pour elle-même et non pour une réponse improbable. Damisch1 ou Barthes envisagent la peinture comme opérateur théorique, source de modèles, comme une démarche cognitive extrême.
Tout est donné de ce qui a fait le tableau le peintre en a ainsi décidé, il l’expose. Reste à abandonner l'interprétation et la recherche de ce qui ne serait plus là, et à vivre pleinement le face-à-face, penser cette confrontation sujet objet, s'en imprégner. Comment donc faire advenir le tableau ? Convoquer le modèle pictural comme modèle épistémologique. Dès le départ, cela va impliquer l'abandon de la surface comme donnée, c'est-à-dire le refus de quelque chose de déjà là que l'on aurait chargé ensuite d'autre chose. La peinture est le médium essentiel pour explorer ce commerce avec le monde et une présence au monde plus vieux que l'intelligence, dont parle Merleau-Ponty. Et cela nous amène directement à son dispositif de base pour l'avènement du tableau dans lequel le recto et le verso, le dos et la face, se côtoient objectivement dans un paradoxe spatial qui annule l'acception de surface au profit de celle de plan.
La peinture déposée constitue ainsi à la fois l'image et la matérialité du support.
  1. « Si je place l’image devant moi, elle ouvrent la porte où plutôt elle l’arrache ».
  2. G Bataille Note pour Le Coupable, 1944, œuvre complète V p 514.
Angoisse chuchotant notre destin. Plan vertical comme négation du vide, s’arrêter à la surface. Ce que je ne vois pas, n’est rien d’autre qu’un rectangle. Plan écran d’une vérité plus souterraine et redoutable. Il n’y a rien qu’un plan et ce plan n’est rien d’autre que lui-même. Tautologie  affirmant : cet objet que je vois, il est ce que je vois, un point c’est tout.
Face à la tautologie l’invisible, un second regard, l’un visible. Dépasser l’un au delà de ce qui est de ce que nous voyons, de ce qui nous regarde.
Les images s’ouvrent et se ferment comme nos corps qui les regardent. Comme nos paupières. Comme nos lèvres qui cherchent les mots pour offrir une parole à ce regard. Nous sommes devant les images comme devant d’étranges choses qui s’ouvrent et se ferment à nos sens, que l‘on entende dans ce mot un fait de sensation ou un fait de signification, le résultat d’un acte sensible ou d’une faculté intelligible. Image ouverte, image fermée, accessible, inaccessible, visible, invisible, finie, infinie, audible, inouïe. L’image comme un obstacle insurmontable quand soudain elle s’ouvre devant nous, donnant l’impression de nous aspirer vers ses tréfonds. Les images s’ouvrent à nous et se referment sur nous dans la mesure où elles suscitent en nous quelque chose que l’on pourrait nommer une expérience intérieure.
C’est deux façons de percevoir, fermeture, ouverture, sens et sens, sont réunis dans l’un des adages les plus célèbres d’Erasme, Sileni Alcibiadis publié en 1508. Silène est un satyre ventripotent et lubrique qui passe son temps à cuver son vin et à jouer de la flûte. Pourtant la tradition mythologique assure qu’il est né en même temps que la beauté, Aphrodite. L’espace, le ciel, Ouranos castré par le temps, Chronos. On sait que Silène fut le précepteur de Dionysos. Erasme a voulu penser le silène comme une trop humaine image ouverte qui cache une âme ou un dieu.
Dans cette perspective, le corps serait à l’âme ce que l’image du Silène, triviale et méprisable est au trésor qu’elle renferme. Retournement de la critique platonicienne du monde sensible afin de laisser la possibilité d’un rapport  avec le monde intelligible. Dans cette perspective, l’ouverture de l’image est donnée comme métaphore de l’intériorité, pendant de sa symétrique métaphore de l’extériorité. C’est ce que disait Alberti en disant que le tableau ou la fresque, choses ayant un rapport réel avec l’opacité, avec le mur forment néanmoins une fenêtre ouverte sur le monde visible. Mais cette perspective ressort d’une histoire des idées. Mais comment entrer dans les images de façon plus incarné et plus in-pensée comment dépasser les métaphores de l’âme et de la fenêtre – mouvement des corps visibles et des idées – mais parvenir à une métamorphose soit une relation de corps à corps.
  1. « Si l’ensemble des hommes – ou plus simplement leur existence intégrale – s’incarnait en un seul être – évidemment aussi solitaire et aussi abandonné que l’ensemble – la tête de l’incarné serait le lieu d’un combat inapaisable – et si violent que tôt ou tard elle volerait en éclat ».
  2. G Bataille « La folie de Nietzche », 1939, œuvre complète I p 547.
Le modèle de la fenêtre Albertienne est un modèle confortable mais insuffisant. Une fenêtre peut à la fois être ouverte (optique) ou fermée (physique) ce qui fait que voir au delà ne met pas notre corps en mouvement. Une porte est bien plus dramatique, ce n’est pas un hasard si G Bataille éprouve l’image en relation avec l’idée d’une porte qui vole en éclat. (Les portes du ciel au Louvre, on ouvre la bouche du mort et les portes s’ouvrent…)
Dire que les images s’ouvrent ou se ferment, visible, invisible comme les corps qui les regardent c’est dire que les images sont créées par nous, à notre image.
Quel est alors le style d’apparition ou de présentation spécifique dont chaque image, regardée pour ce qu’elle, est nous fait don ? Qu’est ce qu’un phénomène, si sa description ressemble à celle de tous les phénomènes avoisinants ? La peinture nous en apprend plus que la philosophie sur l’irréductibilité des images.
Umberto Ecco dans « l’œuvre ouverte » parle de l’informe ou de l’informel au seul regard d’une « théorie de l’information ». Il fait de l’ouverture un principe de réception, une condition de la jouissance esthétique fondé sur la nature ambiguë du « message » délivré dans l’œuvre d’art. L’œuvre ouverte pour Ecco est « projet d’un message doté d’un large éventail  de possibilité interprétatives, qui pour Ecco ne se voit et ne se réalise que dans le œuvres modernes par différences avec l’allégorisme médiéval, entre une tache fortuite obtenue par pliage et une mosaïque byzantine. Pourtant, les mosaïques byzantines font système dans l’espace des basiliques, avec de grands pans de marbre découpées dans l’épaisseurs et qui forment le motif de Rorschach de tache fortuite obtenue par pliage.

La peinture commence à Lascaux. L’homme pose sa main pour passer au travers de la paroi franchir la pierre jusqu’au fond, l’homme sent le monde. La renaissance invente la perspective, le monde vu de l’homme et non plus de dieu. Passage de l’axonométrie, à la perspective, la hiérarchie des personnages se fait par leur taille et leur place dans l’image sans se préoccuper de leur place dans l’espace, alors que la perspective prendra compte de l’espace.
Puis au XXème siècle le cubisme. Ou la représentation ne se fait plus à partir de se que l’on voit mais de ce que l’on sait et de la question essentielle de la représentation de l’espace naturel sur le plan du tableau. Problème qui préoccupe toujours la peinture à ce jour. Ainsi le cubisme montre bien que la peinture est une possibilité de réflexion philosophique, tout en étant elle même partie d’une réflexion philosophique (sans le savoir parfois). Juxtaposons le mouvement du cubisme,  et les méditations cartésiennes de Husserl.
Chapitre 17 ;
  1. « De plus on pourra caractériser le mode de liaison qui unit un « état »  de conscience à un autre en le décrivant comme une « synthèse », forme de liaison appartenant exclusivement à la conscience. Je prends par exemple pour objet  de description la perception d’un cube. Je vois alors, dans la réflexion pure, que ce cube individuel m’est donné d’une façon continue comme une unité objective, et cela dans la multiplicité variable et multiforme d’aspects modes de présentations) liés par des rapports déterminés. Ces modes ne sont pas, dans leur écoulement, une suite d’états vécus sans liaison entre eux. Ils s’écoulent, au contraire, dans l’unité d’une « synthèse », conformément à laquelle c’est toujours du même objet – en tant qu’il se présente – que nous prenons conscience. Le cube un et identique se présente de façon et sous des aspects divers : tantôt de « proximité », tantôt d’ « éloignement », dans des modes variables, d’ « ici » et « là bas », opposés à « ici » absolu (qui se trouve – pour moi – dans « mon propre corps » qui m’apparaît en même temps) dont la conscience, encore qu’elle reste inaperçue, les accompagnent toujours. Chaque aspect que retient l’esprit, par exemple « ce cube ci dans la sphère de proximité » se révèle à son tour comme unité synthétique d’une multiplicité de modes de représentation correspondants. L’objet proche peut se présenter comme « le même » mais sous telle ou telle « face » ; il peut y avoir variation non seulement des « perspectives visuelles », mais des phénomènes « tactiles », « acoustiques » et autres « modes  de présentation », comme nous pouvons l’observer en donnant à notre attention la direction convenable. Si maintenant, dans la description de ce cube, nous considérons spécialement tel  de ses caractères, par exemple sa forme, sa couleur, ou une de ses surfaces prise à part, et ainsi  de suite, le même phénomène se répète. Toujours le dit caractère se présente comme « unité » de multiplicités » qui s’écoulent. Dans la vision dirigée sur l’objet, nous aurons, par exemple, une forme ou une couleur qui reste identiquement la même. Dans l’attitude réflexive, nous aurons des aspects ou « apparences » correspondants, modalités d’orientation de perspective, etc., qui se succèdent en suite continue. Chacun de ces « aspects » considérés en lui-même, par exemple la forme ou la nuance en elle-même, est, plus représentation de sa forme, de sa couleur, etc. Ainsi le cogito a conscience de son cogitatum non pas en un acte non différencié, mais en une structure de multiplicité à caractère noétique et noématique bien déterminé, structure coordonnée de façon essentielle à l’identité de ce cogitatum déterminé.
  2. … L’objet remémoré apparaît, lui aussi, sous diverses faces, dans diverses perspectives, etc. … Mais pour pouvoir différencier des modalités de l’intuition (par exemple le donné de la mémoire et celui de la perception), la description devrait faire appel à des dimensions nouvelles ».
  3. Edmund Husserl Méditation cartésiennes. p 75-77. Quatre conférences prononcées à La Sorbonne le 23 et 25 février 1929 traduit par Emmanuel Lévinas en 1931.
Il faut je pense rapprocher ce paragraphe de Husserl au chapitre 50 du premier livre du « guide des égaré » de Moïse Maïmonide.
  1. « Sache ô lecteur de mon présent traité, que la croyance n’est pas quelque chose que l’on prononce (seulement), mais quelque chose que l’on conçoit dans l’âme, en croyant que la chose est telle qu’on la conçoit.  Si donc il s’agit d’opinion vraies ou réputés telles, tu te contentes de les exprimer en paroles, sans les concevoir ni les croire, et, à plus forte raison, sans y chercher une certitude, c’est là chose très facile ; et c’est ainsi que tu trouves beaucoup d’hommes stupides qui retiennent (dans la mémoire) des croyances dont il ne conçoivent absolument aucune idée. Mais si tu es de ceux dont la pensée s’élève pour monter à ce degré élevé, qui est (le degré) de la spéculation…
  2. …Comme si notre but était seulement de chercher comment nous exprimer, et non pas ce que nous devons croire. Il ne peut y avoir croyance que lorsqu’il y a eu conception ; car la croyance consiste à admettre comme vrai ce qui a été conçu (et à croire) que cela est hors de l’esprit tel qu’il a été conçu dans l’esprit. S’il se joint à cette croyance (la conviction) que le contraire de ce qu’on croit est absolument impossible et qu’il n’existe dans l’esprit aucun moyen de réfuter cette croyance, ni de penser que le contraire puisse être possible, c’est là de la certitude. »
  3. Le guide des égarés chapitre L p 179- 182. (Maison neuve).
Picasso n’a plus de modèle, une personne qui pose. Lorsqu’il commence le portrait de Gertrude Stein Picasso reste classique, il y a des séances de poses, mais à la 90ème Picasso n’ a toujours rien saisi il abandonne par en vacances, à son retour, deux jours suffirons pour réaliser le portrait. Ce qui change avec les peintres Cubistes, ce n'est pas tant le sujet que le regard porté dessus. Le sujet reste le même, un, uni, malgré sa fragmentation apparente, qui n'est en fait que la transcription de l'éclatement de la conscience regardante. Ce n'est pas l'objet qui vole en éclat, c'est le regard, et les parcelles qui émergent dans la peinture de Picasso par exemple sont des bribes de ce que le regard du peintre, un moment fixé, a vu.
On comprend ainsi mieux les propos d’Alberto Giacometti :
  1. « Si je vous regarde en face, j’oublie le profil. Si je regarde le profil, j’oublie la face. Tout devient discontinu. Le fait est là. Je n’arrive plus à saisir l’ensemble. Trop d’étages ! Trop de niveaux ! … Le mystère s’épaissit »
  2. Giacometti, entretien avec André Parinaud 1962
  3. Devant ce mystère Giacometti aura tout essayé, dit-il jusqu’au cube comme le moment unique d’un détour par l’abstraction.
  4. « En 1925, à peu près, j’ai commencé à comprendre qu’il était  impossible de faire une peinture ou une sculpture, telle que je la voyais, et qu’il fallait abandonner le réel. J’ai donc essayé de traduire au pis-aller le souvenir qu’il m’en restait. J’ai tenté tous les essais possibles de constructions jusqu’en 1935, à peu près. Jusqu’à l’abstrait.
  5. Qu’est ce l’abstraction a amené de nouveau à votre tentative ?
  6. - Ce fut la dernière démarche avant d’atteindre « le mur » ! La fabrication de volumes qui n’était que des objets. Or l’objet n’est pas une sculpture ! Il n’y avait aucun progrès possible. »
  7. Giacometti, entretien avec André Parinaud 1962
Le cube de Giacometti n’en est pas un. C’est un polyèdre irrégulier que l’on peut décrire comme un volume à douze faces. Un cube ne peut-il ainsi se rendre visible que par douze faces, le double que compte un cube. C’est peut-être vrai. Mais si l’on observe près de la base antérieure, il y a une pliure qui s’esquisse. Giacometti aurait-il voulu dédoublé cette face là, en faire une face duplice porteuse d’une virtualité, une face de plus 12+1. Cette face est la première et la dernière du polyèdre c’est la face contre terre. Face aveugle qui sans doute fait tenir les douze autres. Face qui dans ce volume visible est la face qui manque à être vu. Ainsi le volume est construit sur une face évidée, construit sur un manque, une perte, la perte d’une face.
Souvent lorsque nous regardons une image de l’art, vient la sensation du paradoxe. Ce qui nous atteint immédiatement porte la marque du trouble, d’une évidence obscure. Ce qui nous paraît distinct n'est que le résultat d’un long détour, une médiation, un usage des mots. C'est le lot de chacun. Nous pouvons nous laisser porter, éprouver quelque jouissance à nous sentir captifs et libérés dans cette tresse de savoir et de non savoir, de pluriel et de singulier, de choses qui appelle une dénomination et de choses qui nous laissent quoi…Tout cela sur une même surface de tableau, où rien n’aura été caché, où tout devant nous aura simplement présenté. On peut se sentir insatisfait, vouloir en savoir plus.
  1. « Le non savoir dénude. Cette proposition est le sommet, mais doit être entendue ainsi : dénude donc je vois ce que le savoir cachait jusque-là, mais si je vois je sais. En effet, je sais, mais ce que j’ai su, le non savoir le dénude encore ».
  2. G Bataille, l’expérience intérieur (1943).
Notes:
1- Hubert Damisch, né en 1928, est un philosophe français spécialisé en esthétique et histoire de l'art, professeur à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris.
La réflexion d'Hubert Damisch prend en compte la sémiologie dans l'esthétique. Il écrit sur la peinture, l'architecture, la photographie, le cinéma, le théâtre. Son œuvre fait référence dans le domaine de la philosophie et de l'histoire de l'art.
En 1974 il publie Huit thèses pour (ou contre) une sémiologie de la peinture.

Illustration:
Station 12 Barnett Newmann.

Echo et Narcisse Nicolas Poussin (lle louvre)

Porte-fenêtre à Collioure, 1914 Henri Matisse
Huile sur toile; 116 x 89 cm
© Succession H. Matisse
Avec cette toile peinte à Collioure à l'automne 1914, Matisse propose une image d'un dépouillement radical, confinant à l'abstraction. C'est dans ce sens que l'œuvre a été interprétée lorsqu'elle fut présentée pour la première fois, bien après la mort de l'artiste, lors d'une exposition itinérante aux Etats-Unis en 1966. Toutefois, comme certains éléments l'indiquent, cette peinture reste liée à la représentation, avec toute la sensualité et l'émotion qui s'attachent, chez Matisse, au thème de la fenêtre.
Certains détails sont explicitement figuratifs, comme les stries du volet gauche qui évoquent des fentes. De même, l'oblique du mur, au bas de la toile, réintroduit la tridimensionnalité pour représenter le sol de la chambre. Enfin, des arbres et la grille d'un balcon sont encore visibles, malgré le badigeon noir appliqué lors d'une dernière séance de travail.
À propos d'un tableau de 1916 où le noir domine, Matisse déclare commencer « d'utiliser le noir comme une couleur de lumière et non comme une couleur d'obscurité ». Il semble qu'il s'achemine déjà vers cette découverte du noir comme évocation d'une lumière aveuglante, pénétrant ici l'espace de la fenêtre ouverte.
À la différence des nombreuses autres fenêtres peintes à Collioure depuis 1905, celle-ci ne vise pas l'articulation d'un espace intérieur et d'un paysage. Entre un intérieur éteint et un extérieur encore plus sombre, seuls les bords, les volets ou les limites de l'ouverture sont éclairés. Se confondant avec le rectangle du tableau, cette fenêtre est abordée pour elle-même, comme sujet emblématique de la peinture .

Cube Titre attribué : Partie d'une sculpture Pavillon nocturne par Giacometti Alberto (1901-1966)
1933
Technique/Matière : plâtre
Hauteur : 0.940 m.
Longueur : 0.600 m.
Profondeur :0.600 m.
Localisation : Paris, musée national d'Art moderne - Centre Georges Pompidou

Table Titre attribué : La table surréaliste
Giacometti Alberto (1901-1966)
1933/1969 Bronze
Hauteur :1.430 m.
Longueur :1.030 m.
Profondeur :0.430 m.
Localisation :Paris, musée national d'Art moderne - Centre Georges Pompidou
.

Bibliograpjhie:

Théorie du nuage de Giotto à Cézanne :Pour une histoire de la peinture

de Hubert Damisch.

Une histoire de machines, de vampires et de fous

Pierre Cassou-Noguès,  Vrin, « Matière étrangère ». 224 p

La revue document 

Georges Bataille

Tag(s) : #Philosophie

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